Bien loin de l’endroit où la jeune femme se réveillait, un homme d’âge mur pénétrait dans la chambre d’une vaste demeure. La pièce était plongée dans l’obscurité et il régnait une ambiance bien peu engageante. Ceci ne sembla pas troubler le moins du monde l’homme qui croisa simplement les bras après avoir fait quelques pas dans la pièce. De toute évidence, il attendait quelque chose. Dans la pénombre l’on ne distinguait pas grand chose mais en faisant un peu plus attention, l’on parvenait à discerner partiellement une silhouette. La voix d’un jeune homme s’éleva doucement.
- Comme vous le présagiez, une autre potentielle est apparue.
- Où ?
- Je ne le sais pas.
L’homme qui posait la question ne sembla pas apprécier cette réponse. Ses sourcils se froncèrent et son expression déjà dure au naturel aurait en cet instant suffit à glacer n’importe quelle personne qui aurait croisé son regard. Il fit quelques pas et saisi violemment le jeune homme assis par terre par le col de sa chemise, le soulevant à moitié en le ramenant à lui. Le jeune homme bien loin de se laisser impressionner par cette recrudescence de violence, reprit la parole d’un ton glacé et autoritaire.
- Vous n’avez nullement le droit de me traiter de la sorte, aussi, si vous voulez que je continue il va vous falloir adopter un autre ton avec moi. D’autant plus que votre chef ne serait sans doute pas extrêmement heureux d’apprendre que par votre faute je refuse de poursuivre…
La bouche de l’homme se tordit en un rictus et la lueur de ses yeux ne pouvaient pas plus exprimer la haine qu’il portait à cet ‘enfant’. Cependant, il avait raison, et en fait peut-être était ce d’abord pour cela qu’il ne l’aimait pas. Parce qu’il avait bien trop souvent raison à son goût. Quoi qu’il en soit, il repoussa brutalement le jeune homme en arrière et fit demi-tour, rouvrant la porte de la chambre afin d’en sortir et sans doute aussi pour aller faire son rapport. Il s’arrêta cependant pour se tourner de nouveau vers l’être qu’il méprisait tant et avec un sourire malsain, il prit la parole.
- Continue donc à faire le malin mais arrivera un jour où tu ne nous seras plus utile… Et si tu continues à nous donner des informations aussi partielles, cela risque d’arriver plus rapidement que ce que tu peux croire. A ce moment tu ne pourras plus que prier pour que je t’achève rapidement.
Et sur ces paroles des plus réconfortantes, il sortit de la pièce, laissant le jeune homme seul qui soudain ne paraissait plus faire le malin. Celui-ci patienta quelques secondes, écoutant les bruits de pas s’éloigner. Il se permit de sourire à son tour.
* Si tu survis jusque là…*
Se plu-t-il à penser en revoyant les images au sujet de cet être abjecte qui se croyait au-dessus de tout. Enfin c’était ainsi que le jeune homme le voyait et peut-être sa vision était elle encore trop idyllique. Mais peu importait. Quelque chose dans les paroles de l’homme avait soulevé une inquiétude qui sommeillait depuis le début chez le garçon. Quant tout serait fini, qu’adviendrait il de lui ? Cela, il était incapable de le dire… Peut-être était-ce une bonne chose après tout mais l’angoisse était plus forte après chaque vision. Il était un élément clé et le savait mais c’était là son seul savoir à son sujet. Malheureusement. De même, ses visions et ses « rêves » ne donnaient que des informations partielles, et il n’allait tout de même pas inventer le reste comme cela. Les gens croyaient qu’il lui suffisait de fermer les yeux pour avoir les réponses qu’il souhaitait. Or, c’était loin d’être le cas. Il fallait d’abord qu’il soit comme dans un état second. Ensuite, il devait comme se connecter aux esprits des « rêveurs ». Se connecter à certains, les uns après les autres, regarder quels étaient la nature réelle de leurs songes, c’était là son vrai don en fait. Cependant trier ainsi les hommes de la planète ne s’avérait pas une si mince affaire. Il fallait du temps et beaucoup d’énergie. Sa réserve n’était pas inépuisable, loin de là. Cela ne faisait que deux mois qu’il avait commencé ce « labeur » et déjà les signes de profondes fatigues étaient visibles. Pourtant, il n’en avait repéré que trois… Enfin quatre avec la nouvelle mais il restait à déterminer qui laquelle elle était ainsi que le lieu où elle se trouvait. Tout ceci n’était pas une mince affaire mais au moins il saurait retrouver son esprit où qu’elle soit. Elle ne pouvait se soustraire à sa vision, ce qui était une garantie en soi, sans parler du fait que la simple présence du jeune homme dans les rêves de la personne suffisait à révéler son identité première. Il était ainsi certain que les personnes qui « réagissaient positivement » à sa présence avaient un lien direct avec ce qu’il allait advenir. Seul le rôle était à déterminer avec précision. L’endroit en général se déclarait de lui-même lors du second ou troisième rêve. Il était même advenu une fois que la personne se présente d’elle-même sans savoir chez qui elle « frappait ». Le jeune homme avait une théorie pour expliciter ce phénomène mais elle n’intéressait que lui et était en fait bien trop compliquée.
S’allongeant sur le sol, il songea à toutes les informations du rêve de la potentielle. Certains éléments étaient plus étranges que chez d’autres et le tout lui laissait une étrange impression. Il devrait la tenir à l’œil mais ne leur dirait rien de plus quant à ses appréhensions… Elles n’étaient pas encore fondées et ils prendraient à coup sur des mesures d’une stupidité sans failles. Autre fait étrange, en fait sans doute le plus étrange, il avait lui-même ressentit la présence d’une tierce personne dans le rêve… Il y avait donc deux hypothèses. Soit cette présence est présente depuis longtemps dans les rêves de la jeune femme qui s’était créé comme un ami imaginaire au sein même de son imaginaire. Cela arrivait de temps en temps. Soit, une autre personne avait pénétrer ce rêve tout comme lui l’avait fait. Si tel était le cas, l’avait elle fait consciemment ? Tout cela restait à déterminer et à surveiller. Il attendait avec impatience la prochaine nuit. Il présentait qu’il allait adorer cette plongée. Peut-être même aurait il le loisir de mettre en action sa théorie quant à l’émission de l’énergie psychique par le rêve et encore plus par la personne qui rêvait. Ah, voilà maintenant qu’il sentait son cœur s’emballer à la perspective de son premier combat. Lui qui s’était entraîné à se maîtriser était tel un gamin devant un nouveau jouet. Se redressant d’un coup en position assise, il saisit la télécommande qui gisait devant lui et appuya sur un bouton. Lentement, les rideaux se mirent en mouvement et s’ouvrirent, laissant les pâles rayons de ce soleil hivernal réchauffer malgré tout l’atmosphère. Un léger sourire encré sur ses lèvres et un air un peu rêveur, le jeune homme contempla la vue qui s’offrait à lui. L’une de ses seules distractions mais c’était de loin sa préférée. Il se sentait bien ici à contempler tout cela. Une certaine plénitude semblait apaiser son âme tout autant que son corps.
Les arbres dénués de feuilles demeuraient fièrement dressés malgré le froid et l’herbe recouverte d’une fine couche de glace scintillait de milles reflets bleutés à faire pâlir ce ciel pourtant d’un bleu azur que ne semblaient vouloir parcourir aucun nuage, sans doute de peur de gâcher ce tableau. La nature semblait comme à l’arrêt et cette pensée semblait étrangement satisfaire le jeune homme. Pour quelles raisons ? Peut-être parce qu’il ne voulait plus que le monde continue dans sa descente… Ceci expliquerait les raisons que le poussaient à obéir à ces hommes. Il ne connaissait même pas leur motivation. Mais leur but était le même, de ce qu’il avait su déduire en tout cas. Mais peut-être aimait il ce tableau car il avait simplement l’impression de vivre… Lui qui devait rester cloîtrer et regarder les autres bouger était comme apaiser de voir que certaines choses étaient immuables… Le Temps.